Qu'est-ce que le luxe ?
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Le luxe fait-il le prix ou le prix fait-il le luxe ? Le dictionnaire Larousse nous donne la définition suivante du luxe : « caractère de ce qui est couteux, raffiné, somptueux ». Le premier qualificatif est « couteux ». Un produit ne pourrait donc pas être luxueux s'il n'est pas couteux ? Dans le domaine du commerce et du marketing, le luxe est directement lié au prix. Si la qualité se paie, le prix peut aussi être l'unique justification du luxe. L'expression « payer la marque » démontre bien combien certaines marques facturent leur notoriété. Car c'est bien l'image qui fait vendre.
En 2017, des chercheurs du CNRS ont réalisé un test à l'aveugle avec des auditeurs écoutant des violonistes jouer avec des Stradivarius et des violons récents. Les mélomanes ont non seulement été incapables de reconnaître les Stradivarius, ils ont préféré en moyenne les violons contemporains. Pourtant, la renommée du luthier italien a élevé ses instruments au rang d'objets de luxe qui se vendent des millions d'euros. Le luxe est donc un secteur très lucratif pour les marques qui arrivent à s'y positionner, où la clientèle limitée aux plus riches est compensée par des marges mirobolantes. Si le prix fait le luxe, c'est parce qu'il rend le produit inaccessible au plus grand nombre. Le luxe est rêvé, envié, et se meurt dès qu'il est démocratisé. Le caviar ne serait pas un produit de luxe si ce n'était une denrée rare.
Certains tentent pourtant cette démocratisation du luxe. Karl Lagerfeld fut précurseur dans ce domaine. Il déclara : « L’élitisme de masse, c’est mon rêve depuis longtemps. Je pense qu’il était presque de mon devoir de faire ça avec mon nom, c’est le chemin de la modernité. » En 2004, il est le premier à collaborer avec la chaine de prêt-à-porter H&M. Alliance improbable que celle du luxe et de la fast fashion. Le directeur artistique de Chanel dessine à cette occasion trente modèles. Le succès est alors foudroyant. Le 12 novembre 2004, jour du lancement de la collection, les clients font la queue devant les boutiques. Dès l'ouverture des portes, les fans du kaiser de la mode se livrent à ce qui ressemble plus à du pillage qu'à du shopping. Certaines pièces sont épuisées en seulement dix minutes, même les vitrines se voient dévalisées des vêtements d'exposition. Il faut dire que, contrairement à sa politique habituelle, H&M n'a pas produit les pièces de cette collection exceptionnelle en grande quantité. Le géant suédois aurait-il sous-estimé l'engouement suscité par cet événement ? Pas du tout, la marque a simplement opéré un coup marketing très réussi. L'objectif était plus de faire parler d'elle comme celle qui rend le luxe abordable que de faire du chiffre avec les ventes de cette collection capsule. Or, à cause des quantités très limitées qui ont été produites, très peu de clients ont pu s'offrir ces vêtements et accessoires Lagerfeld. La veste pailletée qui rappelle celle de la maison Chanel a par exemple été éditée à seulement quelques centaines d'exemplaires pour toute la France. C'est donc raté pour la démocratisation du luxe. Ce qui ne fut pas pour plaire à Karl Lagerfeld qui déclara : « Je trouve pénible que H&M ait contrarié tant de gens. C'est du snobisme dans l'anti-snobisme ». A croire que, même lorsqu'on s'appelle Karl Lagerfeld, changer les propriétés du luxe n'est pas chose facile.

Le masstige : démocratisation du luxe ou coup de com' ?
La collaboration entre une chaine de grande distribution et une marque de luxe est intéressante pour les deux parties. Pour les grandes enseignes, elle permet de valoriser leur image en associant leur nom à des grands noms du luxe, leur offrir un bon coup de publicité et doper leurs ventes. Pour les marques, elle leur offre l'opportunité de toucher une clientèle hors de leur cible habituelle qui pourra réitérer l'acte d'achat sur des produits d'entrée de gamme. Les parfums sont très utilisés par les maisons de luxe dans leur stratégie commerciale. Le public peut s'offrir en parfumerie des fragrances des maisons de haute couture, dont les vêtements sont inaccessibles pour la plupart. des Cette stratégie marketing s'appelle le masstige. Ce mot-valise symbolise l'alliance des enseignes de grande distribution « massmarket » (marché de masse) et des marques de prestige. Mais ce genre d'opération n'est pas sans risque pour ces dernières. L'association de leur nom à celui des géants de la grande distribution peut ternir leur prestige. De plus, les produits créés pour l'occasion, soumis aux contraintes de coût de la fast fashion, ne sont évidemment pas de même qualité que ceux habituellement proposés dans l'univers du luxe. Autre inconvénient, le client ne trouvera pas non plus dans les boutiques de la grande distribution la rareté du produit et le service personnalisé. Dans ce cas, nous pouvons nous poser la question, suivante : le masstige propose-t-il véritablement du luxe ou seulement l'image du luxe ? Je pense que, comme son étymologie l'indique, le masstige ne vend pas le luxe mais le prestige associé au luxe, c'est-à-dire une marque et son univers.
Le masstige peut générer d'importants bénéfices pour les marques de luxe : il se vend un flacon de parfum Chanel n°5 toutes les deux secondes dans le monde !

La drop culture, stratégie de la rareté
Le 1er avril 2019, la chaine de supermarchés Lidl publie des photos d'une paire de baskets aux couleurs de l'enseigne. Des baskets Lidl qui affichent ostentatoirement les couleurs bleu, jaune et rouge de la marque, l'idée est saugrenue et fait sourire. Et c'est normal, car c'est un poisson d'avril. Sans le savoir, Lidl a inventé un produit qui possède deux caractéristiques bien particulières : l'idée est très originale et il n'existe pas. Ce qui en fait un produit rare sur deux aspects : d'abord, on n'a jamais vu quelqu'un porter des baskets aux couleurs d'une enseigne de hard discount et ensuite, ce produit n'existe pas, ce qui pousse le concept de rareté à son summum ! Naturellement, cela créé un désir pour cet objet unique dans sa nature et inaccessible car non réel. Devant cet engouement, Lidl décide de produire ces baskets. Prenant soin de préserver la rareté de ce produit, l'entreprise allemande met en vente seulement 2 000 paires au prix record de 12,99 €. L'objet du désir devient réel, décuplant la volonté du public de le posséder. Les nouvelles sneakers Lidl ne restent bien sûr que très peu de temps en rayon. Bon nombre de clients qui en achètent ne comptent pas les porter mais les revendre. C'est ainsi qu'on les retrouve sur les sites de vente aux enchères à plusieurs centaines d'euros, une paire se vendant jusqu'à 1 200 € ! Pour faire passer ses baskets du rang de curiosité collector de la société de consommation à celui d'objet de mode, il manquait quelque chose : la légitimation par une personnalité. Lidl a ici encore très bien joué en offrant une paire de ces baskets, ainsi que les chaussettes, les claquettes et le tee-shirt de la même « collection » à l'ancien footballeur Djibril Cissé, connu pour sa passion de la mode. Ce dernier a publié des photos de lui sur les réseaux sociaux habillé en Lidl, en écrivant : Un ÉNORME MERCI. Ne jamais oublier où maman faisait les courses. Ce commentaire est un trait d'union génial entre l'univers de la mode et la culture populaire, une manière d'assumer ce mélange des genres. Si cette publication lui a valu quelques moqueries, elle a surtout suscité des envieux auprès d'autres célébrités du monde du football et de la chanson et bien évidemment auprès de tous ceux qui les suivent.

La stratégie marketing employée par Lidl s'appelle la drop culture. Elle consiste pour une marque à mettre en vente un produit en quantités limitées, dans des points de vente bien précis, sans en faire de publicité ou presque. Cette technique, très utilisée dans le monde du luxe, vise à provoquer l'envie chez le consommateur grâce au caractère rare du produit. La particularité de la drop culture, c'est qu'elle met en œuvre une rareté artificielle. Si le caviar, un violon Stradivarius ou un diamant sont des produits de luxe, c'est parce qu'ils sont sur notre Terre en quantité limitée et qu'on ne peut pas en produire. Dans la drop culture, le produit est rendu rare par une production volontairement très réduite. L'exemple des baskets Lidl nous démontre que si le prix (12,99 €) ne fait pas le luxe, on peut employer un autre ingrédient du luxe (la rareté), qui va faire emmener les prix à des niveaux luxueux (1 200 € aux enchères).
La luxèse : une nouvelle définition du luxe ?
Dans notre société de consommation où l'opulence des biens matériels s'accompagne d'une baisse de leur qualité, diminuant leur durée de vie jusqu'à en faire des produits jetables qui devront être rapidement remplacés, de plus en plus de personnes plébiscitent une autre façon de consommer. Dans tous les domaines, de l'alimentation à la mode en passant par le loisir, la quantité a pris le dessus sur la qualité. Partant du constat que nous consommons trop et mal, une alternative est apparue ces dernières années : la luxèse. Faisant son entrée dans le vocabulaire allemand au début des années 2000, ce nom est formé à partir des mots « luxe » et « ascèse ». Cette étymologie questionne une nouvelle fois sur la définition du luxe. L'ascèse, en tant que mode de vie basé sur la privation dans une recherche de perfection, peut-elle être compatible avec luxe ? Non, si on estime que le luxe est synonyme d'abondance. Oui, si considère l'ascèse et le luxe comme deux moyens d'atteindre la perfection. La luxèse envisage le luxe comme comme une quête de qualité. Cette attirance pour le luxe n'est pas motivée par une envie pulsionnelle ou un besoin de posséder, elle résulte d'un choix conscient. Pourquoi choisir la qualité ? Pour ne parler que du domaine de la mode, pour les raisons suivantes :
- Pour sa santé, car un vêtement de qualité confectionné de façon écoresponsable ne contiendra pas de substances toxiques tels des produits irritants pour la peau, des perturbateurs endocriniens ou des métaux lourds néfastes pour la santé.
- Pour ses finances. C'est bien connu, choisir la qualité, c'est s'assurer d'une durabilité. Un vêtement de qualité ne va pas s'altérer au bout de quelques lavages.
- Pour les femmes et les hommes ayant travaillé sur ce vêtement. Choisir un vêtement de qualité issu du commerce éthique, c'est lutter contre l'exploitation humaine.
- Pour l'environnement. Le travail artisanal est globalement beaucoup moins polluant que la production industrielle de masse.
Bien entendu, la qualité à un prix. La luxèse impose donc de renoncer aux achats compulsifs, elle invite à la modération et la responsabilisation. Acheter moins mais mieux pourrait être la devise de cette doctrine épicurienne de la consommation. Que ce soit pour son seul bien-être ou pour des raisons éthiques, la luxèse nous invite à réfléchir sur nos choix de consommation. J'affectionne particulièrement cette philosophie qui définit le luxe comme une caractéristique vertueuse non seulement accessible, mais nécessaire.
Kalyca est-elle une marque de luxe ? C'est finalement à vous d'en juger !
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