L'énigmatique voyage de Picasso en territoire Senoufo

« Quand il est venu, il a fait une semaine ici la première fois, c'était en 1968 », affirme Soro Navaghi. « C'est lui qui a fait ça », ajoute-t-il en désignant une toile peinte étendue sur la case ouverte qu'il partage avec d'autres peintres du village de Fakaha. Ce vieil artisan aurait été l'assistant personnel de Pablo Picasso lors de son séjour en terre Sénoufo. Le génie espagnol serait venu découvrir le style pictural caractéristique des toiles dites de Korogho. « C'est lui qui nous a appris à nous servir des éponges et de la brosse à dents pour aller plus vite et être plus précis. Avant lui, on ne faisait pas de cadre, lui nous a conseillé de dessiner des cadres », raconte Silue Naganki, également artisan.

T-shirt ethnique Korogho
La série de tee-shirts Mileg rend hommage aux toiles de Korogho.

"L'art nègre ? Connais pas !"

« L'art nègre ? Connais pas ! » déclara un jour l'auteur de Guernica. Cette citation, qui est souvent sortie de son contexte, ne signifie nullement que Picasso niait son intérêt pour l'art africain. En 1920, lorsque le journaliste et écrivain d'art Florent Fels demanda à Picasso son opinion sur « l'art nègre » afin de publier un article pour sa revue Action, ce dernier lui envoya un message dans lequel il déclara « L'art nègre ? Connais pas ». Ce qu'il voulut signifier par cette phrase, c'est qu'il ne s’intéressait pas à « l'art nègre » pour sa dimension ethnologique ou son histoire, mais seulement pour la force esthétique et la symbolique de ces objets. Et des objets d'art africain, il en possédait toute une collection !

Tout commença en 1907 par une visite du musée ethnographique du Trocadero à Paris, où il y découvrit les collections « d'arts primitifs ». Cette rencontre avec l'art africain fut une révélation. Il raconta plus tard à André Malraux à propos de cette visite : « J’ai compris pourquoi j’étais peintre tout seul dans ce musée affreux, avec des masques, des poupées peaux-rouges, des mannequins poussiéreux. Les Demoiselles d’Avignon ont dû arriver ce jour-là mais pas du tout à cause des formes: parce que c’était ma première toile d’exorcisme, oui ! ».

Dans Les Demoiselles d'Avignon, qui fut achevé cette même année, le visage d'une des femmes est représenté par un masque africain. Picasso rend ici un hommage à l'art africain dans ce tableau qui deviendra l'un de ses plus célèbres.

Peu après la visite du Trocadero, il s'offrit un tiki des îles Marquises. Cette petite statuette océanienne fut la première pièce de sa collection d'art non-occidental, collection qu'il ne cessa d'alimenter par de nouvelles acquisitions jusqu'à sa mort. En 1944, il échangea même l'une de ses toiles contre une « Tête d'Oba » en bronze du Nigéria.

Picasso était tellement fasciné par le travail des artistes africains qu'il écrivit à son ami Apolinaire : « Mes plus grandes émotions artistiques, je les ai ressenties lorsque m’apparut soudain la sublime beauté des sculptures exécutées par les artistes anonymes de l’Afrique. Ces ouvrages d’un religieux, passionné et rigoureusement logique, sont ce que l’imagination humaine a produit de plus puissant et de plus beau. Je me hâte d’ajouter que cependant, je déteste l’exotisme. ». Simplification des formes, esthétique des corps, cubisme,  l'influence de l'art africain sur l'œuvre de Picasso est donc certaine et la ressemblance avec les toiles de Korhogo indéniable. Mais a-t-il effectué ce voyage à Fakaha ?

Toile de Korhogo, héritage de Picasso
Peintre présentant une toile de Korhogo.

Art africain et cubisme

Situé à côté de ville de Korhogo, dans le nord de la Côte d'Ivoire, le village de Fakaha est réputé pour ses toiles en tissu de coton filé à la main peintes par des artisans de l'ethnie Sénoufo. Il existe deux versions différentes sur le voyage de Picasso en Côte d’Ivoire. La première indique qu’il serait vers 1930, sans donner aucune autre précision. La seconde version, celle qu’on peut entendre à Korhogo, nous dit que Picasso serait venu en 1968. Soro Navaghi explique que la voiture qui l’emmenait à Fakaha serait tombée en panne et qu’il aurait parcouru les quinze derniers kilomètres à pied, arrivant au village torse-nu et sans chaussures. En 1968, Picasso avait 86 ou 87 ans. Difficile donc d’imaginer le peintre octogénaire extrêmement populaire effectuer un voyage dans ces conditions là et en toute discrétion.

Que Picasso ait voyagé en Afrique en 1930 ou en 1968, ce qui est sûr, c'est qu'il inventa le cubisme avec Georges Braque en 1907. Ce qui ne remet pas en cause l’apport de l’art africain dans le cubisme, mais Picasso n’a pas eu besoin de changer de continent pour s’inspirer des autres cultures. Même si les récits des habitants de Fakaha semblent fantaisistes, les biographes ne Picasso n’excluent pas qu’ils ait pu effectuer un voyage en Afrique. Après tout, le roi de la pop, Michael Jackson, s’est bien rendu dans la petite ville de Krindjabo, dans le sud-est de la Côte d’Ivoire, alors qu’il était à la recherche de ses origines. N’est-ce pas la preuve que le continent africain est une inépuisable source d’inspiration pour les artistes en tous genres ?

Masque africain dans le tableau Les demoiselles d'Avignon
Gros plan sur un des personnages des Demoiselles d'Avignon et un masque du Congo.

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commentaires (2)

    • Jenn
    • 2021-01-15 12:20:22
    L'Afrique est une grande source d'inspiration pour beaucoup d'artistes. Picasso s'en est inspiré, comme beaucoup d'autres. Est-ce qu'il est allé en Afrique ? Je pense qu'il n'y a pas de fumée sans feu ! Même si les Ivoiriens enjolivent l'histoire, il y a surement une part de vérité là-dedans !
    • Dotooko
    • 2021-10-01 14:18:11
    Autant je suis persuadé que Picasso s'est inspiré de l'art africain, autant je ne crois pas du tout à ce voyage en Cote d'Ivoire. Mais bon, c'est bénéfique pour le tourisme ! Un peu comme le monstre du Loch Ness en Ecosse !

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