A propos de moi
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Comment tout a débuté
Je m'appelle Lynda Cazilhac, je suis née il y a trente quatre ans en Côte d'Ivoire, pays dans lequel a débuté ma passion pour la mode. Je me souviens qu'en octobre 1990, je jouais déjà le mannequin lors d'un défilé de mode organisé par ma mère, qui était styliste-modéliste. Je garde le souvenir du public émerveillé au passage sur le podium de l'enfant que j'étais, vêtue de cette robe que j'avais vu naître des mains de couturière de ma mère.
Tous les mercredis, après l'école, j'allais dans son atelier. Je jouais autour des machines à coudre, à la recherche de chutes de tissus avec lesquelles j'habillais mes poupées. J'étais en admiration devant ma mère lorsqu'elle conseillait les clientes. Je m'imaginais à sa place, prônant la parole de l'élégance à un auditoire conquis. Or, ses ambitions pour moi étaient toute autres, car la couture, comme la plupart des métiers manuels, est peu valorisée en Côte d'Ivoire. Pour ma mère, il était hors de question que je fasse le même métier qu'elle. Je devais faire de « grandes études » et travailler dans un bureau. Malheureusement, beaucoup de personnes ont connu et connaissent encore cette pression familiale.

Quelques années plus tard, au lycée, j’étais celle vers qui mes amies se tournaient lorsqu’elles avaient besoin de conseils vestimentaires. J’adorais ce rôle ! J’expliquais avec enthousiasme les rudiments de la mode, avec le lexique d’une adolescente passionnée. Prenant cette fonction avec le sérieux que motive la passion, j'ai démarré un business de prêt-à-porter auprès de mon entourage qui me demandait continuellement où j'achetais mes vêtements.
Après le lycée, j'ai naturellement fait ce qu'on attendait de moi. J'ai passé cinq ans en école de commerce à étudier la finance et la communication, obtenu un master en marketing et intégré l'une des principales banques à Abidjan en tant que cadre financier. La plupart de mes tenues étaient dessinées par moi-même et suscitaient très souvent l’admiration de mes collègues de travail qui ne tarissaient pas d’éloges sur mon style vestimentaire.
Je me remis donc à faire du conseil vestimentaire auprès de mes collaborateurs, comme je le faisais avec mes camarades d'école. Ayant accumulé des connaissances dans le domaine, les conseils en stylisme s’accompagnaient de leçons de mode. Pourquoi les vestes à trois boutons ne conviennent pas à toutes les poitrines ? Quelles morphologies sont adaptées aux jupes froncées ? Pourquoi les pantalons-cigarettes ne vont pas aux personnes de toutes tailles ? Je faisais également venir des vêtements de marques de France, où vivait désormais ma mère, que je revendais à mes collègues. J'adorais le conseil clientèle, le même que je retrouvais avec mes clients de la banque. Conseiller pour se constituer un patrimoine financier ou conseiller afin que l'autre se sente beau ou belle en portant des tenues sans faute de goût. La finalité était la même : la satisfaction du client.
La guerre et l'exil
La vie a suivit son cours jusqu'en novembre 2010, date à laquelle la Côte d'Ivoire entra dans une grave crise politique. En avril 2011, du jour au lendemain, la guerre éclata. Nous avons vécu au milieu de tirs incessants dix jours et dix nuits consécutifs. Abidjan, comme le reste du pays était en feu. Toute ma famille s'était réfugiée chez mon oncle, qui possédait une grande maison. Or, celui-ci étant un sympathisant du parti au pouvoir à ce moment là, il était une cible pour les rebelles. Un jour, des hommes armés débarquèrent en force chez lui. Comprenant rapidement ce qui était en train de se passer, je réussis à m'enfuir en escaladant le mur de la cour. Malheureusement, les rebelles m'avaient vu passer chez les voisins et vinrent m'arrêter. Un d'eux braqua sa kalashnikov sur ma tempe. Cet instant où j'ai cru mourrir causa chez moi un traumatisme dont je ne prendrai conscience que plusieurs années plus tard. Après ce chaos qui fit plus de trois mille morts, rien n'était plus pareil. En 2012, craignant pour ma sécurité, je quittai mon pays, l'âme meurtrie, pour me réfugier chez ma mère, en France.
Cet exil fut une vraie fracture dans ma vie. J'ai laissé derrière moi ma famille, mes amis, mon appartement, mon travail, bref, ma vie. Moi qui avais tout mis en œuvre pour rester sur le chemin de vie que je m'étais fixé, ce changement remettait tout en cause. Je du m'adapter à mon nouvel environnement.
En Juillet 2012, je commence un vrai parcours du combattant afin d'obtenir les documents nécessaires à mon établissement en France. Mais le plus dur fut de découvrir cette mention sur l’autorisation provisoire de séjour qui me fut remise deux mois après mon arrivée : « N'autorise pas son titulaire à travailler ». Pour moi, travailler était le meilleur moyen d'intégration. Je ne connaissais en France personne à part ma mère et son entourage. Je me sentais socialement exclue, en proie à une grande solitude. Il y avait certes des gens bienveillants avec moi qui me donnaient de la force, mais il suffisait du regard d'une personne me jugeant comme une immigrée de plus qui ne travaille pas afin de profiter du système français pour que je m’effondre de nouveau. Le regard que portaient les gens sur l'étrangère sans emploi que j'étais était très difficile à supporter. J'avais envie de crier sur tous les toits que si je ne travaillais pas, ce n'était pas par choix.
Comment la mode m'a sauvée
Pendant cette période très difficile, je me suis raccrochée à ma passion pour la mode ainsi qu'à Dieu, en qui je crois. Je dessinais des robes, je me rêvais styliste, c'était mon moyen de m'évader de mon quotidien. Ma mère acceptait de se remettre sur la machine pour réaliser mes créations à ma taille. Lorsque je les portais, dans la rue, j’étais régulièrement arrêtée par des passants qui me complimentaient.
J'avais entamé les démarches pour obtenir un titre de séjour qui m'autoriserait à travailler, mais, le taux de chômage étant à ce moment à son plus haut niveau historique, j'estimais que mes chances de décrocher un emploi étaient faibles. Je me dis alors que c'était l'occasion de créer ma marque de vêtements. N'ayant pas les moyens de produire mes vêtements, j'ai tenté de contacter des professionnels. J'ai envoyé des dessins à de grands magazines de mode. En avril 2013, je reçu une réponse du fondateur d'une société d'événementiel dans le monde de la mode. Il me proposa de participer à un concours que se déroulait pendant la « fashion week » de Londres en septembre 2013. Il avait apprécié mes dessins et m’invitait à ce concours de jeunes créateurs. Le gagnant du concours aurait une tribune dans un grand magazine, vitrine exceptionnelle dans le milieu de la mode. La joie immense qui m’envahit à la lecture de ce message fut anéantie en quelques secondes lorsque je réalisai que mon autorisation de séjour ne me permettait pas de sortir du territoire français ! J’eus alors l’impression de laisser s’échapper une occasion exceptionnelle de reprendre le cours de ma vie. Ma situation administrative m’était devenue insupportable. Je voulais travailler, pourquoi m’en empêchait-on ?
Le travail comme base de l'intégration sociale
Après deux ans d’attente interminable, et alors que je n’y croyais plus, j’ai reçu mon titre de séjour me permettant enfin de travailler. Je me mis alors à chercher du travail de manière acharnée et je commençai les entretiens d’embauche. Je décrochai un C.D.I. dans un groupe bancaire en seulement trois mois au moment où le chômage était au plus haut. Mon quotidien a radicalement changé à ce moment là. Cet emploi dans mon domaine de compétence allait me permettre de reprendre le cours de ma vie, cette qui vie qui semblait enfin me sourire.
C’est bien ce qu’il se passa. Ma vie changea avec ce travail. Je me sentais utile à la société, intégrée. A travers l’accueil chaleureux que me réservèrent mes collègues, c’est la France qui m’ouvrait les bras. J'adorais mon métier, j’étais radieuse et bien dans ma peau, ce qui me permit de rencontrer de nouvelles personnes et commencer à me faire des amis. Et, bien que je vivais toujours chez ma mère, j’étais désormais financièrement indépendante d’elle. Puis je rencontrai l’amour, avec celui qui deviendra mon mari deux ans plus tard, en septembre 2017.
J'avais réussi à déjouer tous les pronostics, mon combat en tant qu'immigrée pour me faire ma place avait payé, ma rage pour retrouver du travail m'avait permis de signer mon CDI, et ma joie de vivre de rencontrer un homme exceptionnel. Croyante jusqu'au plus profond de moi, j’avais tout ce que j’avais souhaité et j'en remerciais le ciel.
Le début du mal-être
Pourtant, petit à petit, je perdis mon envie d’aller à la banque. Je m’éteignais à petit feu. Ma vie commençait le soir lorsque je quittais mon bureau, et s’arrêtait le matin lorsque je quittais mon domicile. Je ne me reconnaissais plus dans le métier de conseillère financier. Les objectifs toujours plus hauts, la pression hiérarchique, la négation des valeurs humaines au profit de l’organisation. Le conseil bancaire que j’aimais tant n’avait plus de place dans ce système.
Un événement heureux allait me permettre d'oublier ce sentiment de tristesse qui m'envahissait dès que je pensais à mon travail. Un mois après notre mariage, nous attendions un bébé, j'étais heureuse. Lors de mon congé parental loin de mon bureau, ma joie était totale, je revivais. Tous les voyants étaient au vert. Après la naissance de notre fils, ce fut le déclic ! Il me donna une force inexplicable. Je ne pouvais pas me permettre de pleurer le soir en rentrant devant cet être si adorable. Je voulais être heureuse à tous les niveaux. Qu'est ce qui me rendait la plus heureuse à part ma famille ? Aider les autres, dessiner et créer des vêtements. Avec tout le soutien de mon mari, je décidai de pousser la porte de l'univers de la mode de manière concrète.
Après mon accouchement, je pris un congés parental de six mois qui me permit de faire mûrir mon projet, qui est de valoriser l'artisanat textile africain dans mes créations. J'avais six mois pour me mettre dans la peau d'une créatrice et voir si je pouvais travailler avec des artisans à cinq mille kilomètres de chez moi. En septembre 2018, encouragée par mon mari, mon enfant contre moi et ma mère à mes cotés, nous partions à Paris pour découvrir l'un des plus grands salon de mode du monde. Au milieu des deux mille exposants, je me sentais toute petite. Tout ça était tout nouveau pour moi et je ne me sentais pas légitime à ce moment là car je n’ai pas fait d’école de mode. J'hésitais à m'approcher des stands, mais j'y suis finalement arrivé et, au bout de quelques heures, nous étions dans le bain. A mon retour de Paris, je créai la société en parallèle de mon emploi, car j'étais toujours en congé parental. Mais ma décision était prise, je voulais faire de ma passion mon métier.
Depuis le premier mai 2019, je ne suis plus salariée mais créatrice de mode. Maman, épouse et entrepreneur heureuse, je vous présente ma première collection. Elle vient de l'intérieur de moi. Elle s'appelle AYO, ce qui signifie « merci » en bété, la langue de l'une des soixante ethnies de Côte d'Ivoire dont je fais partie. Merci à qui ? Merci à Dieu, merci à vous qui prenez le temps de me lire et qui débutez l'aventure avec moi. Merci à ma famille et mes amis. Merci à la vie. L'aventure commence, le rêve prend forme. A très bientôt !
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